La Maladie de la Mort
(Comment) apprivoiser Duras ? MC2
Grenoble, du mercredi 28 au samedi 31/03/2018 La Maladie de la Mort hante la scène des Bouffes du Nord, avant de partir en tournée. On est loin de l'évidence de l'adaptation d'Emmanuel Finkiel, dont La Douleur sort parallèlement sur les écrans français fin janvier, nous plongeant dans l'atmosphère de la fin de la Résistance, à l'unisson de l'attente et l'espoir miné de Marguerite (Mélanie Thierry, au top). Ici, le spectacle ne se laisse pas tout de suite apprivoiser, et pourtant s'insinue en nous. Mais que se passe-t-il donc aux Bouffes du Nord ? Une heure de mise en scène, de mise en abîme aussi, de clins d'il à Duras (le maquillage de Laetitia Dosch, le récit secondaire projeté entre les vidéos en direct ). Pourtant, le récit et les personnages font de la résistance : ils ne s'apprivoisent pas facilement. Le texte de Marguerite se doit de déranger : la proposition est indécente, mais, surtout, comme l'auteur l'affirme : il n'y a pas d'amour, pas de désir (et pas tant que cela de sexe). Mais alors quoi ? Un sentiment confus d'inachèvement et de désespéranceLa mise en scène de Katie Mitchell est raccord :
difficile d'avoir de l'empathie pour l'homme
tourmenté, dérangeant de se trouver des
affinités avec cette femme qui accepte, pour 15 000
euros, de passer plusieurs nuits dans une chambre
d'hôtel avec un inconnu dont elle devra accepter tous
les caprices. Le spectateur est donc rapidement gagné
par un sentiment pénible : sentiment confus
d'inachèvement, de désespérance,
d'inutilité. Le dispositif de La Maladie de la Mort sur la scène des Bouffes du Nord - © alain martinQuelque chose d'Hopper dans la nuitCes couloirs (jolie et nécessaire perspective sur
l'extérieur de la chambre), cette fenêtre
à l'horizon laiteux, cette lumière crue dans
la salle de bain, ces ampoules jaunâtres, ce lit, ces
vêtements posés, jusqu'aux extérieurs de
l'hôtel ajoutés à la captation
il
y a quelque chose d'Hopper dans cet intérieur
nocturne, dans ces vies observées, dans cette
vacuité, aussi. Hopper, sujet du documentaire
La
toile blanche d'Edward Hopper dont Irène
Jacob assurait, avec Mathieu Amalric, les voix off. Baskets, ailes de poulet et bombe lacrymo dans le sacReste la femme, la gagnante triste du deal : celle qui mène la danse, finalement. Baskets, ailes de poulet, et bombe lacrymo dans son sac de fille, elle trouve l'énergie pour survivre à ces nuits qui en aurait épuisé plus d'une. « Presque grâcile » susurre Irène, lisant les mots de Duras, mais tellement plus forte que l'homme. Après une dernière nuit à l'hôtel, la femme va rejoindre son fils, dont on a pu deviner l'existence au détour d'un ou deux appels téléphoniques brefs : il y a donc de la vie après la mort. C'est ce qu'on retiendra, peut-être. [ a.martin - 21/01/18 ]Merci à Irène Jacob et aux Bouffes du Nord pour l'invitation à découvrir La Maladie de la Mort.
« Ainsi vous avez pu vivre cet amour de la seule façon qui puisse se faire pour vous, en le perdant avant même qu'il soit advenu. » Extrait de La Maladie de la Mort de Marguerite Duras (Editions de Minuit, 1983) photo : © Stephen CummiskeyRéactions mitigées, variées, sur un spectacle qui ne doit pas laisser indifférent : revue de presse :
> Les Echos : La Maladie de la mort en mode mineur chic : « Ce mélange sophistiqué de théâtre épuré et de cinéma en direct ne parvient pas à rendre compte de la douleur extrême, absolue, que suggère La Maladie de la mort, un des textes les plus implacables et dérangeants de Marguerite Duras » > ArtistikRezo
: Marguerite Duras vue par Katie Mitchell
« Alors que le texte de Duras, par la voix
du narrateur, impose une distance vis à vis des
personnages qui se transforme vite en une intimité
bouleversante,[
] Katie Mitchell, dans
l'adaptation d'Alice Birch, choisit le point de vue du
« mâle » qui envisage un corps froidement,
sans érotisme. > TV5 Monde : Katie Mitchell explore le texte dérangeant de Duras La Maladie de la Mort : « La metteuse en scène britannique, qui revendique son féminisme, dit avoir voulu traiter la pièce "du point de vue de la femme", comme elle l'avait fait dans "Christine, d'après Mademoiselle Julie" [ ] à Avignon en 2011 ou dans "Pelléas et Mélisande" à Aix-en-Provence en 2016. > France Culture : une ingénieuse et courte thématique sur la voix durasienne : « Ne pas singer Duras » Réservations sur le site des Bouffes du Nord, mais attention : tout est presque complet
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Extrait de La Maladie de la Mort de Marguerite Duras (Editions de Minuit, 1983) :Vous pourriez l'avoir payée. Vous auriez dit : Il faudrait venir chaque nuit pendant plusieurs jours. Elle vous aurait regardé longtemps, et puis elle vous aurait dit que dans ce cas c'était cher. Et puis elle demande : Vous voulez quoi ? Vous dites que vous voulez essayer, tenter la chose, tenter connaître ça, vous habituer à ça, à ce corps, à ces seins, à ce parfum, à la beauté, à ce danger de mise au monde d'enfants que représente ce corps, à cette forme imberbe sans accidents musculaires ni de force, à ce visage, à cette peau nue, à cette coïncidence entre cette peau et la vie qu'elle recouvre. Vous lui dites que vous voulez essayer, essayer plusieurs jours peut-être. Peut-être plusieurs semaines. Peut-être même pendant toute votre vie. Elle demande : Essayer quoi ? Vous dites : D'aimer.
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