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La Mouette,
une actrice qui rêve de gloire
La Mouette à Rennes © Alain
Dugas
Le 6 octobre 1896, à Pétersbourg,
Tchékhov est effondré par l'échec de
La Mouette : le public, venu pour une
actrice
qui n'est même pas dans la distribution,
boude, tourne le dos à la scène. Un
échec dont il n'est pas sûr que l'auteur se
soit entièrement remis, lui qui aimait le
théâtre plus que la médecine, sans
doute.
Toutefois, le succès viendra avec la
deuxième représentation. Et surtout lors de la
création à Moscou, au Théâtre des
Arts (qui a gardé l'emblème d'une
mouette).
Depuis, il y eut bien des Mouette dans les
théâtres. Voilà celle de Philippe
Calvario. Arrivée dans la Capitale, après
quelques représentations à Rennes, elle aussi,
elle a changé
Fini l'entracte
controversé (voir notre critique sur La Mouette
à Rennes). Dans la salle chaleureuse des Bouffes
du Nord, à même le parterre, s'étend la
pelouse où la troupe y a trouvé ses marques.
Dans un décor remanié, nous voici de nouveau
trois heures à la campagne, loin de Moscou, en
compagnie de personnages curieux, de prime abord.
Pourtant, c'est avec eux que vous repartirez
Mais qu'emportez-vous au retour ? Qu'avez-vous donc en
tête, lorsque les portes du théâtre se
referment, que les conversations reprennent ? L'air de
Somewhere over the rainbow ? La figure de la
pauvre Macha qui ne boit pas en cachette, elle ? Des
impressions mitigées devant cet écrivain
célèbre, qui ne peut s'empêcher,
à tout instant, de prendre des notes, au cas
où ? Une sympathie grandissante pour Konstantin,
célèbre un jour, peut-être ? Ou encore
l'instituteur qui fera toujours ses
« six vestres à pied jusqu'à la
gare », pour ne pas gêner
Mais aussi
La lune sur le lac, que vous aurez cru
apercevoir
à moins que ce ne soit le cri d'une mouette
(« Tchaiiiïka!!! »), un coup de
feu, un coup de cur
« Je suis une mouette, non ce n'est pas
ça
je suis une actrice !!! »
Alors, mouette ou actrice, Irène Jacob?
Peut-être les deux ?
« Il faut montrer la vie non telle qu'elle
est, ni telle qu'elle doit être, mais telle qu'elle
nous apparaît en rêve. »
(Tchekhov - La Mouette)
Le 16 juin au soir, les rappels et quelques bouquets
à une Nina émue pour la "dernière" de
la "seconde" Mouette.
La petite histoire : Dominique Blanc (Mouette
n°1, qui avait été victime d'un accident
au répétition, donc convalescente) n'ayant
toujours pas repris le rôle de Nina tenu par
Irène Jacob (Mouette n°2), laquelle devait
honorer d'autres contrats, c'est Julie Harnois qui tint le
rôle de la "Mouette" n°3, du 18 au 30 juin.
Irène à Rennes
« I can't get no
satisfaction
! » Whaoff ! Ca démarre comme
cela, ce n'est pas encore du Tchekhov, mais ça
viendra. D'autres musiques suivront, sans nuire à la
qualité et à l'équilibre de
l'ensemble.
Le rideau se baisse trop rapidement sur un petit
théâtre de plein-air. Nina, jeune
comédienne alias Irène Jacob, qui -serait-ce
le geste ou la jupe, ou les deux ?- parvient à
parître les 18 ans qui conviennent à
l'héroïne ! Nina tente d'interpréter
la pièce d'un jeune auteur, Konstantin, devant
un parterre de familiers. Mais, lassé des quolibets,
Konstantin a coupé court.
Voilà pour la pièce dans la pièce. Mais
pour le reste, quel spectacle! Trois heures à peine
interrompues, pas une seconde d'ennui, et l'énergie
de tous, nécessaire à mobiliser le vaste
plateau de la salle imposante du Théâtre
National de Bretagne.
Pour décor, une petite élévation, un
arbre symbolique, quelques chaises, un lac à
imaginer.
Et voilà qu'avant le dernier acte, ce décor se
transforme
(à vous de
découvrir !)
Deux ans plus tard, Nina revient, « amaigrie,
les yeux plus grands ». La pièce parle
du théâtre, des acteurs, des écrivains,
de la création mais surtout de nous, bien sûr.
Nous qui serions-nous, qui sait, un peu plus intelligents,
un peu plus sensibles au sortir de ce spectacle? Possible,
par la grâce d'un auteur, d'un metteur en scène
et d'une troupe entière à leur service.
[am, depuis Rennes, 2002]
Début mars 2002, IMPROMPTU, après
« une semaine de répétition
seulement », Irène Jacob reprenait le
rôle de Nina dans cette Mouette mise en
scène par Philippe Calvario (ancien assistant de
Chéreau).
« Mais, je pense que pour qui a connu le
plaisir de la création, les autres plaisirs ne
doivent plus exister » [Nina]
> Elle a dit
« Tchekhov disait que : "Souvent les femmes
qui sont au bord de la chute tombent fatalement amoureuses
d'un homme
" tel que Tregorine
comme si la chute
était déjà en
elles
» [Europe 1, 6 juin 2002]
« C'est un rôle dont rêvent
beaucoup de comédiennes, parce qu'on a l'impression
qu'on va s'identifier
mais je crois que Nina va dans
une telle dimension que ça dépasse toute
identification [
] Elle, c'est
différent, elle est prête à tout
sacrifier pour la gloire, c'est ce qu'elle ch
ouette
[sic], euh, c'est ce qu'elle souhaite
! »
[France Inter, Tamtam, 27 mai 2002]
« Je savais que c'était un rôle
magnifique, que toute comédienne a envie de
jouer. [
] Et je sentais que ce
spectacle dégageait une énergie, une
envie
» [Ouest France]
« Au départ, j'ai eu très
peur. Comme toutes les jeunes comédiennes, j'ai
rêvé d'interpréter le rôle de
Nina. Je craignais de briser ce rêve par manque de
temps pour m'y préparer. Il me fallait me fondre dans
une mise en scène déjà aboutie, et
surtout, apprendre un texte relativement ardu ! Maintenant,
je suis plus détendue sur scène, et
m'approprie peu à peu ce
personnage »
[Le Télégramme de Brest»
« Pour moi, c'est ça le
théâtre. Une aventure, fondée sur des
rencontres, où les gens sont
déterminants
Ce rôle bouleverse un peu
mes projets immédiats
mais le
théâtre c'est quelque chose de vivant, je
relève le défi, j'ai besoin de
m'épancher librement, c'est l'émotion qui
prime ! »
[Sud-Ouest, 9 avril 2002]
> Ils ont dit
«
Irène Jacob, une Nina
combative au sourire radieux, blessée au final,
à bout de souffle
»
[Figaro Madame, 8 juin 2002, Marion Thébaud]
« Une galaxie de solitaires, d'insatisfaits,
hantés par les ratages, les frustrations de leur
existence. Mais qui ne se résignent jamais. Qui
continuent leur chemin, fût-ce
désespérément. Et que Tchekhov observe
d'un oeil attentif de médecin, son premier
métier. »
[Télérama du 25 avril 2002, Fabienne
Pascaud]
« Irène Jacob propose une Nina
inhabituelle, qui joue le tout pour le tout avec calme,
presque avec bonheur, qui marche d'un pas sûr au
désastre, en beauté :
un ciel bleu de tragédie, superbe. [
]
Tous les comédiens semblent à leur mieux :
Philippe Calvario a mis en salle de réveil, sans lui
faire bobo, La Mouette de Tchekhov, notre grande petite
sur à tous. » [Le Monde, 2
juin 2002, Michel Cournot]
« Un défi un peu fou qu'a
décidé de relever la
comédienne
» [Le
Télégramme de Brest]
« Les personnages sont tous en quête
d'un idéal qui, le plus souvent, n'advient pas. Ils
attendent quelque chose qui n'arrive pas, ou alors ils se
projettent dans un futur impossible. Treplev s'interroge
à propos du théâtre, il ressent
l'inutilité de chercher absolument des "formes
nouvelles" [
] Nina, la Mouette,
accompagne Treplev dans sa quête formelle avant de se
laisser séduire par Trigorine, et de partir avec
lui. [
] Le spectacle se déroule
dans une époque indéterminée, les temps
se rejoignent dans le mal de vivre des
personnages. » (Philippe Calvario)
« Et cet accessoire, ce symbole qui donne
son titre à la pièce, on se dit que Tchekhov,
lui qui connaissait si bien les oiseaux, ne l'a pas choisi
pour rien. Et voilà qu'on se met à chercher
à quoi ça ressemble, une mouette, en
été, à cet endroit de la Russie :
et là, nouvelle surprise, on découvre que la
mouette n'est pas &emdash;pas seulement &emdash; le bel
oiseau blanc et pur qu'on imagine, symbole de la nostalgie
et de l'élan vers les confins de l'horizon... C'est
un oiseau à capuchon sombre, à bec rouge, qui
fait penser à un masque de commedia dell'arte, image
d'un théâtre un peu factice et
inquiétant.
A partir de ce qui n'est qu'un mince détail, le
rôle de Nina prend une autre signification, et nous
voilà invités à voir sous un autre
angle, toutes les réflexions des uns et des autres
sur le théâtre. »
(Françoise Morvan)
« La ponctuation
préférée de Tchekhov, ce sont les
points de suspension, il les confie aux comédiens
comme un espace de rêve. » (Mikhalkov)
©DR
Du 18 au 30 juin, Julie Harnois était Nina
!
On l'a vue (entre autres) pour la
télévision dans "Le jugement de Salomon"
(Florence Strauss), au théâtre dans "Et
maintenant le silence" (Ph. Calvario). Julie Harnois
préparait ensuite un Marivaux. A suivre !
MERCI à : Georgette Moulin, du
Théâtre National de Bretagne et à
l'équipe (www.theatre-national-bretagne.fr), au
Quartz de Brest, à Anne du Théâtre des
Célestins de Lyon, à Sabine Vilotte du
Théâtre national de Bordeaux-Aquitaine,
à Clotilde du Théâtre de Dijon
Bourgogne, au Théâtre de Dijon, au
Théâtre de Nevers et au Théâtre
des Bouffes du Nord à Paris pour son accueil ;
à Nathalie Gasser (r. presse "La Mouette"),
à Jean-Claude Jay pour son regard sur La Mouette,
à Jérôme Kircher, Philippe Calvario,
Julie Harnois et Irène Jacob.
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Irène Jacob et Philippe Calvario, aux
Bouffes du Nord, en 2002.
© alain martin
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La Mouette (2002)
(Tchaïka) d'Anton Tchékhov
Mise en scène : Philippe Calvario.
Traduction André Markowicz et
Françoise Morvan (version de 1895 dite
version longue)
Irène Jacob est Nina Mikhaïlovna
Zarétchnaïa.
avec aussi :
Philippe Calvario, Medvedenko
Florence Giorgetti, Arkadina
Jean-Claude Jay, Dorn)
Jérôme Kircher (Tréplev)
Johan Leysen (Trigorine)
Guy Parigot (Sorine)
Chloé Réjon (Macha)
Et, fin juin, Julie Harnois était aussi
La Mouette
Assistante : Valérie Nègre
Lumière : Bertrand Couderc
Costumes : Aurore Popineau
Son : Eric Neveux
Traduction : André Markowicz &
Françoise Morvan.
Création le 5 mars 2002 au
Théâtre National de Bretagne à
Rennes
"La Mouette" a été jouée
:
> Théâtre national de Bretagne
(Rennes) du 28 fév. au 15 mars
> Théâtre Le Quartz (Brest) du
19 au 22 mars
> Théâtre des Célestins
(Lyon) du 26 mars au 6 avril
> Théâtre national de
Bordeaux-Aquitaine (Bordeaux-Lac) du 9 au 13
avril
> Théâtre National
Dijon-Bourgogne (Dijon) du 16 au 20 avril
> Théâtre de Nevers, du 23 au
24 avril
> La Halle aux Grains de Blois, du 26 au 29
avril 2002
> Théâtre des Bouffes du Nord
(Paris) du 21 mai au 30 juin 2002.
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