© alain martin
L'étourdissante performance de Berthe Trépat, …
…pianiste médaille d'or
2000 - Paris, France

Exprimant la passion de Julio Cortazar pour la musique, d'après le roman "Marelle", les textes prennent corps et voix… Irène Jacob se transformera successivement en récitante, encore en Oliveira, en Berthe Trépat, en une série de personnages, apostrophant la salle, incarnant avec une apparente “facilité” les personnages de ce concert fantastique…

Dans l'ancien théâtre Molière, la scène est au niveau des premiers sièges : sol noir, piano voilé de noir, câbles, haut-parleurs, mur nu, rouge patiné, du fond de scène… Le public a fini par s'installer, remplissant in extremis le parterre et les deux premiers balcons, les conversations boulot-régime-"on m'a dit que" se taisent, la lumière inonde un bouquet de fleurs posé à terre.
Berthe Trépat (mais oui, c'est bien Irène!) apparaît, avec des faux airs de star : lunettes et perruque monstrueuses… rassurez-vous, le pianiste reprendra le rôle de Berthe. Car, en collant et maillot noir, adossée à la muraille (dehors, « il fait un temps de cochon ! »), Irène Jacob commence son récit. Le pianiste est présent mais discret, ce qui nous autorise à parler d'un one-woman-show. Vous l'entendez donc seule, ou accompagnée d'elle-même, répétant sa propre voix, sonorisée ou murmurant sur scène, criant s'il le faut pour couvrir les terribles accords de Rose Bud.
Le texte de Cortazar a pris de nouveaux accents… Voilà, vous aurez sûrement reconnu le jeu d'Irène Jacob, découvert d'autres expressions parfois ; trois quart d'heure ou plutôt l'espace d'un instant trop court.
A la représentation du 13 juin, elle n'a pas craqué aux sonneries répétées… d'un portable dans la salle, modifiant légèrement son texte à l'occasion.)

Pourquoi l'art difficile ?

Parce qu'il faut à chaque représentation éveiller un public composite (ceux venus pour le théâtre et les autres pour la musique), raconter une histoire et incarner plusieurs personnages sur une scène presque vide, avec un manteau, une perruque, une paire de lunettes et deux chaises. Ainsi, le 14 et le 15 se sont déroulés avec bonheur, dixit Irène et le metteur en scène, et le 16 il a fallu jouer devant une salle plus difficile : une petite centaine s'est d'ailleurs éclipsée à la manière du texte original, pendant la seconde partie musicale…
Nous voilà en appétit… pour une prochaine pièce peut-être plus consistante !
[am, juin 2002]
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L'étourdissante performance de Berthe Trépat, pianiste médaille d'or

Mise en scène de Jérôme Kircher.
Irène Jacob est “les” voix- avec aussi : Benoit Delbecq, piano (jazz “contemporain”, pour simplifier)
Musique : on reconnaîtra, peut être, brièvement, Léo Delibes,Saint-Saens…) échantillonnages du piano et de la voix (mesurés) au programme…
Ce spectacle était suivi d'une seconde partie purement musicale avec François Houle et Michael Moore aux clarinettes, Steve Arguüelles, batterie et électroniques, J-J Avenel, contrebasse). Le tout avec la technique de l'Ircam.

Elle a dit…

« Il y a un peu plus de dix ans, nous avions donné lecture de ce chapitre 23 de Marelle (…) dans le sous-sol de la “Nef des Fous”, une petite librairie du Marais (…) Nous avons souhaité garder l'esprit intuitif et improvisé de nos premiers élans. Une lecture ouverte, comme en rebond de ce fil existentiel invisible que Cortazar avait su éveiller en nous au travers des méandres de son passionnat roman. »
[Irène Jacob et Benoît Delbecq, programme du spectacle]

Ils ont dit…

« La, je la trouve meilleure qu'au cinéma : elle devrait faire [encore] du théatre. » [Marielle X., 2001]
« Non là, Irène Jacob, ça m'a mis en rogne… Karine Viard, c'est une vraie actrice : elle est très convaincante, elle a une vraie formation et une personnalité. C'est à peu près la seule en France qui risque de surnager un peu dans cette génération [d'actrices] » [Une anonyme dans la salle]
« Transposition d'origine picturale, polyrythmie multipliée par la diversité des timbres, vitesses d'élocution simultanées... on est loin des préoccupations des néo-boppers. » [Benoit Delbecq dans Jazzman]

Extrait…

« C'est alors qu'Oliveira se souvint qu'on lui avait donné un programme. C'était une feuille mal ronéotypée où l'on déchiffrait avec peine que Madame Berthe Trépat, médaille d'or, allait jouer les “Trois mouvements discontinus de Rose Bob” (première audition) […] Il restait quatre personnes dans la salle et Oliveira pensa qu'il se devait d'aller s'asseoir au premier rang pour mieux soutenir la pianiste […] …il s'écoulait une longue seconde, une seconde sans fin, un temps désespérément vide entre Oliveira et Berthe Trépat seuls dans la salle. […] “Très intéressant”, dit-il. “Croyez-moi, Madame, j'ai écouté votre concert avec un véritable intérêt." »
(Extraits de "Marelle" de Julio Cortazar)