La Maladie de la Mort
(Comment) apprivoiser Duras ?
2018 - France, tournée - environ 60’
Dans une chambre, un couple est filmé en direct, et l'image est projetée en noir et blanc en fond de scène. Irène Jacob, telle une traductrice du drame qui se joue, lit le texte, casque sur la tête dans une cabine insonorisée… D'après le texte de Marguerite Duras.
La Maladie de la Mort a hanté la scène des Bouffes du Nord, avant de partir en tournée. On est loin de l'évidence de l'adaptation d'Emmanuel Finkiel, dont La Douleur sortait parallèlement sur les écrans français fin janvier, nous plongeant dans l'atmosphère de la fin de la Résistance, à l'unisson de l'attente et l'espoir miné de Marguerite (Mélanie Thierry, au top). Ici, le spectacle ne se laisse pas tout de suite apprivoiser, et pourtant s'insinue en nous. Mais que se passe-t-il donc aux Bouffes du Nord ? Une heure de mise en scène, de mise en abîme aussi, de clins d'œil à Duras (le maquillage de Laetitia Dosch, le récit secondaire projeté entre les vidéos en direct…). Pourtant, le récit et les personnages font de la résistance : ils ne s'apprivoisent pas facilement. Le texte de Marguerite se doit de déranger : la proposition est indécente, mais, surtout, comme l'auteur l'affirme : il n'y a pas d'amour, pas de désir (et pas tant que cela de sexe). Mais alors quoi ? Un sentiment confus d'inachèvement et de désespérance La mise en scène de Katie Mitchell est raccord : difficile d'avoir de l'empathie pour l'homme tourmenté, dérangeant de se trouver des affinités avec cette femme qui accepte, pour 15 000 euros, de passer plusieurs nuits dans une chambre d'hôtel avec un inconnu dont elle devra accepter tous les caprices. Le spectateur est donc rapidement gagné par un sentiment pénible : sentiment confus d'inachèvement, de désespérance, d'inutilité. Cela commence par la conclusion du contrat ; comme chez les pros, elle exige tout à la commande et lui rétorque : « la moitié maintenant, le reste à la fin »). Le contrat à une punchline : « Essayer d'aimer », et l'on pressent déjà l'échec en puissance. « Vous n'aimez personne », résume la femme. Au sortir du théâtre, les paroles d'un Warlikowski en bord de scène il y a quelques années me reviendront, en substance : « le théâtre pour faire plaisir, ça ne m'intéresse pas. Il faut déranger. » Mais avec la metteure en scène britannique, on est loin du joyeux bazar et de la provoc' du Polonais : tout est plus insidieux, tout est trouble, à l'image des éclairages de la chambre bien rangée. Justement, on s'agite beaucoup, sur le plateau, pour concrétiser cette sorte de grand plan séquence où tout s'enchaîne. La mécanique est apparente : cadreurs, perchman, assistante, changements de tenue au bord du décor. Premier défi pour le spectateur : suivre le récit, ne pas décrocher.La scène des Bouffes du Nord - © alain martin