Retour à Reims
Plus qu'une adaptation !
2019-2020 - France/Suisse/Belgique/Espagne, tournée - environ 105’
Le spectacle a tourné plus d'un an en France, en Suisse et même en Espagne. La première du dernier lieu visité, aux Célestins le 16 janvier 2020, a été interrompue par des messages de soutien aux mouvements de grève actuellement en cours, dans le monde du spectacle et dans la plupart des professions touchées par le projet de Loi de réforme des retraites, mais pas que.
Fin novembre 2019, la troupe fêtait la 100e représentation…
Une comédienne (la voix off), un réalisateur et un technicien enregistrent la voix off d'un documentaire évoquant la matière de “Retour à Reims”, essai de Didier Eribon adapté ici par Thomas Ostermeier…
Les comédiens lisent un message de soutien aux grévistes
Célestins, 16/01/2020 - © a. martin
Après une heure de spectacle, Cédric Eeckhout prend la parole : Célestins, 16/01/2020 - © a. martin
« Nous nous permettons d’interrompre la représentation un instant, pour partager avec vous notre réflexion, en cette journée de grève générale interprofessionnelle dont l’objectif est le retrait du projet de réforme des retraites, auquel s’associent les luttes contre les conditions de travail et contre la précarité et j’en passe. Plusieurs lieux culturels et collègues ont décidé de ne pas jouer ce soir. Ce en quoi nous, équipe artistique, technique et de production du spectacle “Retour à Reims”, ainsi que l’équipe technique qui nous accueille ici, nous sommes tout à fait solidaires. Depuis la création de notre spectacle en décembre 2018, à Paris, nous avons évidemment traversé tous ces mouvements. Nous les avons soutenu. Et nous avons, depuis le départ, pris la décision de jouer malgré tout, et d’utiliser ce moment pour partager notre inquiétude […] »
Irène Jacob rappelle la tribune du Monde en décembre 2019 qui : « appelle à s’associer aux mouvements jaunes, verts, rouge, noirs ou arc-en-ciel… » et Blade MC AliMBaye lit le début de cette déclaration : « Face aux offensives d’un gouvernement néolibéral et autoritaire, nous estimons qu’il est de notre responsabilité d’affirmer que notre présent et notre avenir émergeront des luttes sociales et politiques.
Nombreux sont les mouvements populaires qui traversent notre société et notre monde : ils s’érigent face aux dogmes d’une économie financiarisée qui incite et invite à la consommation déraisonnée ; ils inventent des alternatives aux inégalités sociales, raciales et genrées trop souvent considérées comme des paramètres indépassables ; ils affrontent les semeurs de haine et de peur qui veulent fracturer notre société. […] »
> Lire la tribune du Monde du 5 décembre 2019
Respect !
Respect pour le travail de Didier Eribon, qui explique dans le programme de Retour à Reims avoir été séduit par l’approche du metteur en scène, y compris lors des prises de vue à Reims du film qui sous-tend le spectacle.Finalement, c’est une adaptation somptueuse et on peut le dire pour le moins surprenante et habile du petit livre d’un brillant intellectuel issu d’un milieu ouvrier rémois… Malgré les apparences de la première lecture (celle d'Irène Jacob sur scène, en prise avec le commentaire des images filmées à Reims avec Eribon et de documents d'archives), on dépasse très vite l’explication de texte.
Respect pour la mise en scène de Thomas Ostermeier, venu gentiment à la générale du 10 janvier à l’Espace Cardin expliquer aux spectateurs qu’ils allaient assister à la dernière mise en place et que tout ne serait pas forcément calé. Et pour la manière dont il nous embarque, d’une lecture d'un texte a priori difficile, lecture qui pourrait paraître convenue, décousue ou casse-gueule, à une montée en puissance avec des pointes de vitesse, et puis une empathie, pas gagnée d’avance pour les personnages : Eribon et tous ceux qui l'entourent ou peuvent s'y reconnaître.
Respect pour l’utilisation de la mise en abyme et de la projection vidéo au théâtre, qu'on dit galvaudées. Cette fois, rien à dire, puisque c’est au cœur du sujet. Même l’utilisation d’une capture vidéo dans la seconde partie de la pièce est plutôt bien amenée et ne monopolise pas l’attention des sens. Peut-être parce que Blade Mc Alimbaye passe si bien à l'écran %-)
Respect, comme dirait le metteur en scène qui abuse du franglais mais tente le langage des banlieues, ce qui amuse assez le tenancier du studio, petit-fils d’un Sénégalais installé en France après la Grande guerre.
Le vynile en question - DR
Clin d’œil à un ancêtre du hip-hop
Respect pour la partie musicale que vous n’oublierez pas de sitôt. Les plus attentifs auraient pu repérer la pochette d’un vinyle de 1970 de Scott-Heron dans la cabine d’enregistrement du studio. Mais de là à entendre ça ! [allez ouïr, surprise surprise !]Respect pour les recommandations d’usage : nous avons éteint notre portable et notre reflex pendant la pièce, mais partageons avec vous l’enthousiasme des trois comédiens lors des rappels, après 1h45 de Retour à Reims passées plus vite qu’un aller de Paris en TGV (officiellement 46 minutes).
Irène Jacob, Blade et Cédric dans la dernière partie du spectacle
© Mathilda Olmi - Théâtre Vidy-Lausanne
© Mathilda Olmi - Théâtre Vidy-Lausanne
« Je suis l’esprit de ton père ! »
Respect pour l’effet de surprise. Donc, nous ne vous dirons pas pourquoi il convient de réserver sans plus tarder (Paris affiche complet) et d’aller voir Retour à Reims. Disons simplement que, en vrac, vous verrez à l’œuvre :- les talents de lectrice d’Irène Jacob ;
- une démonstration de la force des images et de la faiblesse d’un documentaire ;
- Macron, Hollande, Mitterrand et Cohn-Bendit, mais pas toujours dans le même panier ;
- des regards complices vers le public ;
- même des gilets jaunes sur lesquels metteur en scène et lectrice sont amenés à discuter ;
- une étonnante démonstration de sampler ;
et même une citation de Star Wars…
Irène Jacob, Blade et Cédric dans la dernière partie du spectacle
© Mathilda Olmi - Théâtre Vidy-Lausanne
© Mathilda Olmi - Théâtre Vidy-Lausanne
Private Jokes!
Mention spéciale pour nos internautes fidèles ou ceux qui ont suivi la carrière d’Irène Jacob. Lors de la discussion avec le metteur en scène, elle explique être comédienne, avoir fait pas mal de lecture et de films et cite clairement The Affair comme l’une de ses récentes prestations, ou explique n’avoir pas vu ses fils pendant une semaine de tournage. A vous de repérer les autres éléments autobiographiques…[am, 11/01/19]
> Entretien avec Irène Jacob sur RCF
> Le Monde : “Retour à Reims”
> Didier Eribon & Irène Jacob sur France Culture
Irène Jacob devant le documentaire projeté
© Mathilda Olmi - Théâtre Vidy-Lausanne
© Mathilda Olmi - Théâtre Vidy-Lausanne
Retour à Lausanne…
Fin 2018 : Irène Jacob répète la pièce sur les bords du Lac, à Lausanne. La première aura lieu quelques jours plus tard, en janvier 2019, au Théâtre de la Ville de Paris, avant une importante tournée de tout un semestre (voir encadré).Dans le Retour à Reims, les trois protagonistes deviennent autant de caisses de résonance pour les souvenirs du sociologue français, contant sa ville natale, l’affrontement avec sa famille et l’exclusion, la confusion d’un milieu social ouvrier, milieu également en devenir.
N'ayez pas peur (d'Ostermeier) !
L’essai Retour à Reims (2009) est « considéré comme un des textes majeurs des sciences humaines et politiques de ces dernières années* ». Les recherches de Didier Eribon, proche de Bourdieu et Foucault, concernent les « bouleversements sociaux et politiques des dernières années* », il s’est également engagé sur les droits des homosexuels, l’évolution de la gauche et l’accueil des migrants…Pourtant, n'ayez pas peur, le Retour à Reims d'Ostermeier saura vous tenir en haleine sans éluder la réflexion.