A droite, Isabelle Carré et Irène Jacob ; à gauche, Brice Cauvin, metteur en scène - © alain martin
La Soupe de Kafka
à quand le prochain service ?
2007 - Théâtre de l'Atelier (Paris) - environ 75'

Cette adaptation du livre de Marck Crick a fait l'objet d'une représentation “unique” et goûteuse, dans un Atelier plein à craquer, le 5 mars 2007.

Sur scène : Isabelle Carré, Irène Jacob, Antonio Interlandi, Joakim Latzko, Jérôme Kircher et Denis Podalydès, sous la direction de Brice Cauvin (qui a failli diriger Irène Jacob dans son "De particulier à Particulier"). La lecture au théâtre est un art aux frontières mouvantes. Qu'on y adopte la pose du lecteur sage et absorbé, à la diction saine et claire (comme par exemple dans la lecture qu'Irène Jacob nous avait déjà donné des lettres de Sade à Madame, il y a quelques années, à Manosque) ou que, sur scène et en chorus, on lui préfère la réplique, le mouvement, l'usage d'accessoires… pour relever la sauce ! Nos comédiens sont six, ils disposent de chaises, de fauteuils… et d'un plateau : c'est donc une vraie "mise en scène" pendant laquelle ils vont donc s'en donner à cœur joie et bouger, mimer, apostropher, voire chanter… Et, vous l'aviez compris, il s'agit de cuisine, plus précisément de recettes, textes pastiches à la manière de quelques grands auteurs. Mark Crick a choisi de titrer "La Soupe de Kafka", bien que la recette préparée par K. soit peut-être la plus frugale du recueil, et l'atmosphère la plus inquiétante, sous le regard suréaliste de trois juges venus d'on ne sait où… Rien à voir avec la fièvre qui prend Proust à l'évocation d'une recette de tiramitsu (jusqu'à tomber en pamoison !), l'emballement façon Virginia Woolf pour un clafoutis où les œufs s'abiment comme "dans un océan de beurre", ou la recette sadique que nous conte le "Marquis" ! A ces textes alléchants, croustillants même, les six lecteurs ajoutent le piment et le tour de main qu'on attendait d'eux. Qu'est-ce donc que cette soupe de Kafka ?… Pour son premier livre, "La soupe de Kafka" (paru en 2005 en Grande-Bretagne et fin 2006 en France), Mark Crick, la quarantaine, classé par ailleurs dans la catégorie photographe, a choisi de concocter un recueil de textes en forme de recettes de cuisine "à la manière de" ; Chandler, Pinter , Sade, Steinbeck, Chaucer, etc. Il est également l'auteur des illustrations, cette fois façon Matisse, Picasso, Warhol… Mise en appétit… Sur la qualité du spectacle, rien à dire : une heure file sans que nous soyons distraits par autre chose qu'une petite envie de grignoter qui survient à l'écoute de ces recettes et portraits savoureux (la séance avait commencé, quelques problèmes d'affluence réglés, à 2Oh30). Si l'on en croit les propos de Mark Crick, celui-ci aurait dû surveiller son alimentation étant enfent, et, pour distraire sa faim, se serait alors réfugié dans sa chambre… avec un bouquin. D'où cette double fascination pour l'art culinaire et celui de la littérature ! Pourquoi cette soupe? Une question reste en suspens à la fin du spectacle : le pourquoi de ces textes et de cette adaptation. Quand on a vu quelques semaines avant une autre soupe "servie" par Krystian Lupa*, et qui nous interpelle sur notre condition "humaine", on peut à juste titre trouver la soupe de Kafka légère… Mais il est vrai que, dans la dernière recette (Irvine Welsh), le personnage frustre prépare son gâteau au chocolat pour des amis titubants et déballe : « c'est quoi l'univers ? Un grand manège… on vit… on meurt et puis… basta ! » Le "plaisir d'un soir" ou le théâtre éphémère… Tout est là : Irène Jacob nous a précisé à propos de cette lecture qu'il ne s'agissait de rien de plus « que le plaisir d'un soir ». Les comédiens ne devraient donc pas remettre le couvert. Dommage. Un spectateur y laisse ses chaussures… Mais une chose est sûre : après les applaudissements et rappels d'un public rassasié, quand nous avons quitté la salle, quelqu'un avait "oublié" une paire de souliers d'homme marron à la place 56 pour être exact : clin d'œil aux comédiens qui s'étaient déchaussés avant de jouer (histoire de mettre tout le monde à l'aise) ou spectateur complètement "à côté de ses pompes" après un tel florilège de recettes "à la mode de" ?…
[am - 05 & 08-03-07]
* ("Zarathustra" de K.Lupa à l'Odéon à Paris en janvier 2007)

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La Soupe de Kafka

Théâtre de l'Atelier (Paris), lundi 5 mars 2007, en présence de l'auteur et en coproduction avec les Editions Flammarion
Extraits du livre de Mark Crick : La Soupe de Kafka, Une histoire mondiale de la littérature en 16 recettes - Mise en scène : Brice Cauvin
Lectures par : Isabelle Carré, Antonio Interlandi, Irène Jacob, Jérôme Kircher, Joakim Latzko et Denis Podalydès
Textes inspirés de : Raymond Chandler, Jane Austen, Franz Kafka, Irvine Welsh, Gabriel Garcia Marquez, John Steinbeck, Italo Calvino, Marquis de Sade, Virginia Woolf, Homère, Marcel Proust, Graham Greene, Jorge Luis Borges, Harold Pinter, Thomas Mann, Geoffrey Chaucer.
Traductions : Patrick Raynal, Geneviève Brisac, Eliette Abécassis, Alain Defossé, Alain Malraux, Claude Durand, Frédéric Jacques Temple, Patrice de Méritens, Anne Freyer, Isabelle Delord- Philippe, François Rivière, Gérard de Cortanze, Patricia Reznikov, Jean Pavans et André Crépin.
Le “résumé” du Théâtre de l'Atelier : « Si vous alliez dîner chez Marcel Proust, Gabriel García Márquez, Virginia Woolf ou Raymond Chandler, que vous offriraient-ils à table ? Mark Crick répond à la question en nous donnant à lire une série de savoureux pastiches de quelques-uns des plus grands écrivains du monde. Chaque texte est une plongée dans un univers différent, racontée d'une voix semblable à s'y méprendre à celle de l'écrivain lui-même. S'inscrivant dans la tradition des “Pastiches” de Proust et rappelant les “Exercices” de style de Queneau, le livre de Mark Crick est un véritable tour de force, bientôt publié dans dix-huit pays. L'auteur a également illustré chacun de ces fins morceaux de sa propre main, proposant autant d'hommages à des artistes célèbres. »

> Le livre La soupe de Kafka de Mark Crick

NB: L'éditeur français rajoute du piment en proposant des traducteurs différents pour ces différentes textes. Pour en savoir plus, un aperçu de cette littérature et une mini-revue de presse anglaise sur…

> Le site de Mark Crick, La soupe de Kafka

> Le Monde du 2 mars signalait l'événement et précisait : « Les textes ont été adaptés pour la scène, les comédiens s'amusant à contre-emploi (Isabelle Carré en vieil homosexuel pour un “Mort à Venise” gourmand) ou dans des rôles plus rares (Irène Jacob donnant à entendre ses talents de musicienne), de quoi se lécher les babines. »
Etonnants.voyageurs.com explique : « Mark Crick pastiche non seulement le style de chaque écrivain, mais aussi les thèmes, obsessions et atmosphères chers à chacun. » Et de conclure : « Une irrésistible introduction - et pour le public cultivé un magnifique retour - à quelques grands classiques de la littérature mondiale. »
Lire, déc. 2006/ janv. 2007 : « Un succulent petit livre qui vient réhabiliter le genre un peu oublié du pastiche. […] ces textes culinaires invitent à la (re) découverte de nos meilleurs classiques sur le mode humoristique. Prenez garde quand vous mettrez ces recettes en œuvre: pris dans la lecture, vous risqueriez d'oublier le rôti sur le feu ! »