(© Marek Gardulski

Krystian Lupa était de retour à Paris à l'Odéon en 2007 pour son adaptation théâtrale du "Zarathoustra" de Nietzsche.
Pour en savoir plus :
LUPA/PARIS/2007
ZARATUSTRA/2007
ZARATUSTRA/croquis

Krystian Lupa flanqué de ses deux traductrices Wanda et Anna (qui ne seront pas de trop…), dans une belle lumière…
(photos © alain martin, nov 2004)

Krystian Lupa… rencontre avec un metteur en scène remarquable
Commentaires exclusifs sur l'intervention de Krystian Lupa, qui évoquait fin novembre 2004 à Paris les pièges que peuvent constituer l'aspect trop poétique, trop musical, de la prose de Thomas Bernhard, et ce travers : trop penser que l'écrivain s'attaquait à la "vie autrichienne", alors que l'essentiel est ailleurs. Ailleurs ; où justement ?
Krystian Lupa se dit assez surpris que les autres metteurs en scène n'aient pas déchiffré le rythme, les coups d'éclats qui surviennent dans ce "Déjeuner" et qui marquent Rodzenstwo… il faut le lire à haute voix, se plonger dans cet huis-clos, retrouver des pulsions -presque primaires- qui donnent tout son sens au texte, y compris les évènements cachés, dont ces relations entre frère et sœurs ne manquent pas !
[NDLR: ceci n'est pas le texte intégral de l'intervention de K. Lupa mais une adaptation condensée des questions-réponses du lundi 29 novembre au mk2 Hautefeuille à Paris. Les citations pures sont entre guillemets: " ".]

Anna Labedzka. A propos de l'adaptation, y a-t-il eu beaucoup de modifications?
Krystian Lupa. Peu, car il est très difficile de pratiquer des coupes ou de raccourcir dans une pièce pareille. En plus,«Ritter, Dene, Voss», titre traditionnel du "Déjeuner chez Wittgenstein" de Thomas Bernhard a été composé pour des acteurs qu'ils connaissait bien. D'une part l'écrivain a pris des libertés avec la vérité historique du personnage de Wittgenstein (par exemple, il cite un voyage aux Etats-Unis de Kant avec son épouse… alors que celui-ci n'a jamais été marié ni n'est allé là-bas!), d'autre part il s'est inspiré de la personnalité des acteurs, de leur pensée (par exemple, dans le premier acte quand les deux sœurs discutent de leur métier de comédiennes cela fait certainement référence à des expériences vécues des actrices)
Cette pièce comporte beaucoup de niveaux. L'imagination de Thomas Bernhard, même malgré lui, a caché quelque chose dans ce texte. Et là, il faut remarquer qu'il n'y a pas de ponctuation -puisque pour l'auteur elle n'a logiquement pas sa place-, donc il est nécessaire pour le lecteur de palier ce manque de signe, en entrant vraiment dans les personnages.

Les pièges de la poésie et de la musicalité…
KL. Il ne faut pas penser non plus que c'est un genre de poésie (à cause du phrasé et de l'absence de signes de pontuation), ni à cause de la musicalité du texte que le son est plus important que le sens, que dans l'esprit du théâtre contemporain du début du XXe siècle, c'est l'expression musicale qui domine.
En travaillant le texte, je me suis rendu compte que le phrasé correspond aux inspirations, donc à quelquechose de presque "animal". Il y a quelque chose d'un état rituel (de même que sous le coup de l'émotion on peut retrouver les yambes et les alexandrins, le parlé des drames antiques…)…

«Il faut se laisser aller à l'hypnose de ce texte»
Il y a une "vérité du rythme", si on l'écoute, alors tout est inscrit dans le rythme. Les autres metteurs en scène n'ont pas senti le courant rythmique de la pièce, n'ont pas "traqué la vérité des dialogues".
"Il faut se laisser aller à l'hypnose de ce texte. Bernhard sait déchiffrer le mensonge entre les choses…" Quand elles se parlent, pleines de douleur, les sœurs utilisent des signaux, le langage archaïque entre sœurs (celui de l'enfance). Elles se parlent et en même temps elles se mentent.

Lorsqu'on ne comprend pas les enjeux du texte de Bernhard, on peut penser -comme cela est répandu en Autriche- que tous ces textes ne sont «qu'une série de railleries contre les Autrichiens et l'Autriche». Il est alors simple de le mettre en scène comme des moqueries, ce qu'on appelle mot à mot en polonais le «bavardage autrichien». En dehors des frontières autrichiennes, on considère même que «Bernhard se moque de tous et de tout»…

Comment les respirations berhardiennes se sont-elles incarnées ?
AL. Comment cette lecture extraordinaire se concrétise ? Est-ce qu'il suffit d'avoir trois magnifiques interprètes, faut-il les amener au texte, comment «les respirations berhardiennes se sont incarnées» ?
KL.
Lorsque nous avons fait ensemble une lecture commune avant que j'intervienne comme metteur en scène «il y a eu déjà un bond, un saut dans la compréhension», la pièce s'est révélée elle-même parce que les acteurs sont entrés dans leur rôle. «Je lis souvent Bernhard à voix haute, par plaisir, et je ne contrôle même pas quand je commence…», ce n'est pas une décision consciente, dans la baignoire par exemple avec l'eau qui refroidit entre temps, [ironiquement] c'est «un espace parfait de compréhension de l'art de Bernhard !». Cette première lecture à trois voix était un bonheur pour moi car j'ai senti que ces voix étaient justes, et un travail passionné à commencé.


Le frère et les 2 sœurs attendent sagement de pouvoir parler…


AL. [S'adressant aux acteurs] Comment ce bonheur a-t-il été partagé ?
Piotr [Voss]
. Quand on commence les répétitions, «l'acteur est toujours un usurpateur et ici ce sentiment était encore plus grand» d'abord parce que je devais incarner un personnage qui faisait référence à Ludwig Wittgenstein, et en plus à cause du titre-hommage aux acteurs viennois.
Ce sentiment d'usurpation fait partie de chaque aventure qu'on entreprend dans sa vie. «Je pense que les personnages de Bernhard arrivent à leur but par ces trois moyens : l'usurpation, le rêve ou la révolte». Il y a des éléments biographiques mélangés avec des éléments historiques et de l'autre côté l'espace théâtral… Quant à la nouvelle de travailler sur ce texte, je l'ai tout simplement apprise… avec angoisse !

Je m'abandonne au rôle… et là ça devient une aventure formidable !
Agnieska [Dene]. J'ai réagi comme à chaque fois : j'ai toujours «l'impression que c'est un autre personnage que je devrais jouer, et pas celui qu'il me propose !». J'étais persuadée que Dene, ce n'était pas du tout moi, qui suis une enfant unique «je n'ai aucun trauma lié à des frères et sœurs!» J'ai mis le texte dans un tiroir pensant que Krystian saurait ce qu'il faudrait faire quand le moment serait venu…
Krystian est un bon observateur, il a vu en moi «la petite bourgeoise, celle qui n'arrive pas à gérer les relations humaines. Je me suis alors aperçue que j'étais tout à fait comme cela, surtout dans les relations familiales…» Inconsciemment il avait compris tout cela.
Avec le temps j'aborde ce rôle d'une manière plus sereine, peut-être. Je maîtrise plus la peur ou l'envie de plaire au public quand j'entre en scène, «je m'abandonne au rôle, il me guide, et là ça devient une aventure formidable… » Et comme on se connaît tous très bien, un clin d'œil de Piotr ou d'Anna ou un changement minimal dans l'expression, c'est un genre de symbiose entre la collègue de travail et la sœur qui me parlent… tandis que lui [K. Lupa], comme d'habitude, reste assis sur sa chaise, il nous critique et nous gronde.
Malgorzata [Ritter]. [Ironique] Je ne vais pas vous énoncer tous mes autres rôles principaux ! Simplement j'avais déjà joué cette pièce dans le rôle de Dene, «j'étais persuadée de connaître cette pièce sur le bout des doigts», j'étais agacée lorsque ma sœur ne connaissait pas encore le texte, comment accentuer, comment servir ; je patientais, m'énervait en entendant les monologues que je connaissais déjà par cœur… je savais mieux qu'elle comment le jouer, pour Ludwig aussi. Par contre «comment jouer Ritter… ça c'est un problème que je n'ai pas encore résolu !».

AL. Abordons maintenant les rapports de Krystian Lupa avec le cinéma… Mais d'abord une question de Piotr…
Piotr. Nous avons été invités par le frère de Thomas Bernhard. Nous avons pu pénétrer dans sa vie et il a fait de nous ses frères et sœurs.

Ludwig dans les chaussures de Thomas Bernhard!
Malgorzata. Oui, c'était une visite très importante pour nous ; une précision : «Ludwig a reçu deux paires de chaussures de Thomas Bernhard, et ce sont celles qu'on voit dans la pièce aujourd'hui
K.L. Mon film préféré est Stalker de Tarkovski.«C'était peut-être l'événement cinématographique l plus important dans ma vie.» Je travaillais alors sur une pièce de Stalislas Wiyspianski: le retour d'Ulysse, «une pièce très profonde qui parle de la mort, qui arrive et libère l'homme». En sortant de la projection de Stalker, j'ai eu l'impression qu'il faudrait que je change tout dans ma vie… la manière de mettre en scène cette pièce, de penser sur l'espace de l'homme.
A SUIVRE :
Un peu plus tard, répondant à cette question: qu'est-ce exactement que le "monologue intérieur" auquel il fait souvent référence dans ses entretiens, citant aussi le livre de Mindel Le corps en rêve, non traduit du polonais… Krystian Lupa compare la vie intérieure, le propre "monologue intérieur" de l'acteur à un cheval, sur lequel il doit se laisser aller. Quant au personnage qu'il incarne, il prendrait alors la figure du cavalier, porté par l'animal. Quand l'un et l'autre sont indissociables et avancent, Krystian Lupa parle alors de "paysage" (plus de détail prochainement sur cet aspect…)

(am, 01 et 02/12/04)


Rodzenstwo,
Ritter, Dene, Voss

de Thomas Bernhard,
jdécembre 2004 au Théâtre de l'Odéon (Ateliers Berthier) à Paris

mise en scène et scénographie : Krystian LUPA
traduction polonaise :
Jacek S. Buras
musique : Jacek Ostaszewski
avec
Malgorzata Hajewska-Krzysztofik,
Agnieszka Mandat,
Piotr Skiba

Une production :
Narodowy Stary Teatr Cracovie,
Nova Polska, une saison polonaise en France


www Théâtre de l'Odéon

www PLUS sur Krystian Lupa,
etc.



(© Marek Gardulski)

Evénement :
Le
Zaratustra de Lupa arrive à l’Odéon !
>
Krystian Lupa dans la salle rénovée de l'Odéon à Paris en du 18 au 27 janvier 2007 (Place de l'Odéon - Paris 6e), spectacle produit par le Stary Teatr de Cracovie et l'Hellenic Festival d'Athènes. Début à 19h, 4h30 en polonais surtitré (2 entractes)
Réserver :
www.theatre-odeon.fr
Egalement le 20 janvier à 15h, entrée libre au Théâtre de l'Odéon
pour "
Correspondances d'artistes-autour du spectacle" : lectures de textes de Maria Mailat et Pierre Péju, puis
rencontre avec les auteurs, Kristian Lupa et le public.
A réserver au 01 44 85 40 33 ou à
servicerp@theatre-odeon.fr
avec:
Ilwona Bielska, Boleslaw Brzozowski, Bogdan Brzyski, Iwona Budner, Joanna Drozda, Krzysztof Globisz, Malgorzata Hajewska-Krzysztofik, Andrzej Hudziak, Zygmunt Jozefczak, bigniew Kosowski, Pawel Kruszelnicki, Agnieska Mandat, Adam Nawojczyk, Sebastian Pawlak, JAcek Romanowski, Piotr Skiba, Jerzy Swiech, Tomasz Wesolowski, Tomasz Wygoda, Malgorta Zawadzka.

©am, nov 2004



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