[AM-06-12-2021]Alors on récapitule. Dès l’année dernière (2020), Benoit Claro (directeur marketing pour les ventes internationales de MK2 Films) et Marzena Moskal (responsable Cinéma de l’Institut polonais de Paris) nous donnent les premières informations : pour la commémoration du 80e anniversaire de Krzysztof Kieślowski, il est prévu une grande Rétrospective à la Cinémathèque, et une nouvelle édition de ses quatre derniers films produits en France. Kieślowski est décédé en 1996, et un événement d’ampleur, en Pologne, à l’étranger et en France est la meilleure nouvelle qui pouvait nous arriver. Début novembre 2020, nous communiquons même avec Benoit sur la manière de renouer avec le public. Nous échangeons beaucoup autour des personnages féminins de Kieślowski. Ce sera d’ailleurs le point de départ des Héroïnes de Kieślowski, thème de trois nouvelles balades parisiennes conduites en novembre… 2021. Mais ce que nous ne savons pas encore fin 2020, c’est que, sur la base d’une nouvelle restauration 4K, on va pouvoir recueillir au plus près de la pellicule originale les intentions de départ du cinéaste et de ses équipes : lumière, son, technique, comédiens, mouvement, mise en scène…
MK2 Films dispose des droits internationaux d’un beau catalogue de films, et, historiquement, c’est Marin Karmitz qui a accueilli et produit le projet d’une trilogie française – Bleu, Blanc, Rouge (1992-1993)–, fasciné par la rencontre avec le réalisateur polonais, auteur du Décalogue (1988). Peu avant, Kieślowski avait promis à Leonardo de la Fuente, fondateur de Sidéral production, de tourner avec lui son premier film en France : La Choriste. Film qui prendra à la fin du tournage en 1992 son titre définitif et célèbre : La Double vie de Véronique. Et dont MK2 reprendra les droits après de longues péripéties, mais c’est une autre histoire. Au printemps 2021, MK2 confie donc à Potemkine films la diffusion du film pour la France : en salles et en édition vidéo. La première partie visible du processus sera la projection de La Double vie de Véronique dans la toute nouvelle version à Cannes Classics, le 10 juillet 2021, 30 ans après sa sortie à Cannes 1991. Mais écoutons plutôt Nils Bouaziz et Natacha Missoffe qui racontent de concert comment ils ont mené le projet Kieślowski durant cette année un peu particulière…
Alain Martin. Peut-on revenir sur les étapes du projet ? Il y a eu Cannes Classics en juillet…
Natacha Missoffe. Oui, MK2 visait évidemment Cannes, une opération de prestige, puisqu’il possède et vit de la vente des droits des films à l’international. MK2 est cataloguiste et nous diffusons. Sur certains projets, comme celui-ci, ils sont plus interventionnistes.
Nils Bouaziz. Notamment quand ils ont été producteurs, quand il y a un rapport historique avec le film : ça a été le cas par exemple avec Kiarostami. MK2 est venu vers nous pour tenter de valoriser le catalogue ; c’est aussi maintenant la mission de Rosalie Varda [NDLR : Senior Advisor chez MK2 Films]. Pour Kieślowski, c’est la Rétrospective à la Cinémathèque [en novembre 2021] qui a boosté le projet. MK2 Films a les droits, nous nous occupons de la diffusion en salles et vidéo, MK2 conservant la diffusion TV-VOD. MK2 n’a pas les mêmes intérêts que nous : une fois que la Rétrospective à la Cinémathèque était terminée, c’était bon [pour eux]. Avoir un peu de rentabilité avec les collaborateurs, c’est [à la limite moins important]…
AM. C’est donc bien une édition française, francophone ?
N.M. Oui, France et Dom-Tom.
N.B. Mais j’ai reçu plusieurs messages de Polonais qui nous demandaient des sous-titres dans leur langue, car eux n’auront pas d’édition 4K. Dans l’idéal, il aurait fallu faire une édition internationale, avec au moins anglais et espagnol. Il n’y aura probablement pas d’autre édition 4K, à part peut-être Criterion. C’est une question de rentabilité.
AM. Oui, et pourquoi, finalement, une édition 4K ?
N.B. La technologie existe, des gens travaillent dessus, nous sommes allés chez Hiventy pour voir la restauration : c’est bluffant ! A quel point on s’approche de la perfection, d’être prêt de l’intention artistique. C’est magique. Il y a cela d’un côté, et de l’autre côté, je ne connais personne qui soit équipé maintenant ! Equipé cela ne veut pas dire une simple TV 4K, mais du matériel performant, avec Dolby Vision, un super lecteur, le top de la qualité, sinon… cela ne sert à rien.
N.M. Les UHD se vendent malgré tout assez bien à un public technophile… qui n’est pas forcément celui qui va regarder des Kieślowski. Les UHD commencent à apparaître dans les rayons, et comme les acheteurs prennent ce qui sort, c’est peut-être aussi le moment d’être là. Même si l’UHD n’est pas rentable. MK2 travaille un peu pour le prestige, et nous aussi, en fait. Les spectateurs attendent de nous que l’on sorte le meilleur produit possible. A partir du moment où MK2 avait fait cette restauration, avait un étalonnage HDR, on est allé vérifier… et c’était magnifique, donc on a fait le choix de s’engager dans l’UHD.
N.B. et N.M. Le CNC aussi est attentif à l’UHD, ils trouvent bien que les éditeurs, sur un marché qui n’est pas florissant, arrivent à se renouveler et à suivre la technologie, s’adresse à un public plus jeune.
AM. Mais alors, justement, Potemkine Films a-t-il d’autres sorties UHD à son catalogue ?
N.B. Et bien non, quand on en fait pas et que c’est possible d’en faire, on nous saute dessus en nous questionnant. C’est arrivé sur “Ne vous retournez pas”, par exemple. Il y avait déjà une édition UHD en Angleterre et aux Etats-Unis. Par contre, si les films de Kieślowski, produits en France, n’étaient pas sortis dans ce format, ce serait mal perçu.
N.M. Dans le cas de Ne vous retournez pas, si on ne l’a pas fait, c’est que cela n’avait aucun sens au niveau artistique, cela n’apportait rien.
N.B. Oui, il y a ce phénomène du “bruit numérique”. Le grain de la pellicule [donc analogique] devient du bruit numérique ; le logiciel tente d’interpréter chaque petit mouvement du “grain”, le traduit mal, et ça peut être vraiment horrible, notamment sur des plans un peu sombres. Sinon, on peut lisser… À Noël [2021], on aura des téléviseurs en 8K, mais il n’y a quasiment aucun contenu disponible. A peine de sport. Et au cinéma, on en est très loin, alors qu’on a déjà du mal a imposer le Blu-Ray !
N.M. Oui, mais pour [les films de] Kieślowski, le résultat était vraiment très beau. Il y avait notamment cet étalonnage HDR, spécifique à l’UHD, qui apportait le plus de nuances possibles dans les couleurs, Pour les quatre films sur lesquels nous avons travaillé, cela faisait sens : les copies sont magnifiques.
N.B. C’était sur ces films-là ou jamais ! Par exemple, on a un peu hésité sur “Orfeu Negro”, mais là il n’y avait pas d’étalonnage HDR, et c’est moins fin en termes de travail photographique. Pour le cas de Kieślowski, à partir du moment où il y a un format vidéo qui touche au plus haut niveau de fidélité au projet artistique d’origine, ç’aurait été dommage de ne pas essayer de l’utiliser !
AM. Idziak a bien collaboré sur l’étalonnage [NDLR : les deux autres chefs opérateurs : Edward Kłosiński sur “Blanc” et Piotr Sobociński sur “Rouge” sont morts en 2008 et 2001] ?
N.M. Oui, avec Jérôme Bigueur, étalonneur chez Hiventy. Nous avons d’ailleurs tourné une vidéo de 10 minutes avec MK2 et lui, qui explique clairement l’intérêt de l’UHD et de l’HDR. C’est assez technique, mais on comprend bien sur quoi on agit et comment cela peut transformer la vision du film. Et c’est un nouveau support, c’est important d’être dans l’ère du temps.
N.B. La pédagogie est très importante. Quand on voit que des réalisateurs ne voient pas l’intérêt d’un lecteur Blu-Ray, la différence avec un DVD […] Il faut pouvoir voir, comparer. Les gens croient savoir, imaginent des choses, mais sans [exemples concrets].
N.M. la difficulté, par contre, c’est que nous sortons sur trois supports.
N.B. Oui, alors que sortir un DVD, aujourd’hui, cela n’a pas de sens, sauf commercial, pour toutes les autres raisons, ça n’a plus de sens, c’est obsolète. Le marché [DVD vs Blu-Ray] n’est pour l’instant que de l’ordre de 80 | 20 ou 70 | 30.
N.M. Mais sur des films de patrimoine restauré, il y a un vrai public pour le Blu-Ray, car la qualité de restauration est optimisée pour.
N.B. On ne sait pas sur quoi les spectateurs vont regarder les films UHD. Il n’y a que depuis récemment des modes Filmmaker sur les TV, avant il fallait changer paramètre par paramètre pour obtenir quelque chose de correct : les paramètres par défaut sont atroces ! Il faudrait presque qu’il y ait, comme on voit apparaître certains procédés chez Netflix, un mode qui reconnaisse automatiquement un passage en UHD pour optimiser les réglages.
N.M. Oui, c’est un maillon que l’on ne maîtrise pas, mais c’est de notre responsabilité de fournir le meilleur objet de diffusion. Nous n’avions pas les lecteurs nous-mêmes mais nous avons été convaincu par la vision du HDR !
N.B. A partir du moment où l’on a des gens talentueux qui ont travaillé sur l’étalonnage, pour le public, c’est un peu dommage de fabriquer un simple Blu-ray. Quand on a le meilleur des matos, en terme de précision, ça va même au-delà de la moyenne des salles de cinéma. Il faut une salle 4K Dolby avec un projecteur laser au top pour avoir le même niveau.
AM. On a vu passé plusieurs versions des visuels. A Cannes, c’était avec les découpages photos de Kensuke Koike…
N.M. Oui nous avons pu changer le visuel pour la France, qui correspondait plus à ce que nous voulions. Le choix des pistes et la mise au point du visuel de La Double vie de Véronique ont été longs.
N.B. Les visuels de la Trilogie correspondaient bien, mais sur La Double vie de Véronique, pour nous, ça ne fonctionnait pas. Nous avons négocié et MK2 a compris nos arguments. Donc, le visuel est identique pour la diffusion en salles, mais spécifique pour l’édition vidéo de Potemkine.
AM. Et vos rapports avec Criterion ?
N.B. Nous avons déjà collaboré, et d’ailleurs nous diffusons souvent les mêmes films, nous faisons des restaurations, ils travaillent eux aussi avec MK2.
N.M. Par contre, les visuels de Criterion sont spécifiques, très épurés…
AM. Et qu’en est-il de la collaboration avec Agnès B, qui était présente sur l’édition précédente du Décalogue MK2/Potemkine films/Agnès B ?
N.B. La collaboration avec Agnès B est ralentie, elle a mis beaucoup de son temps, de son énergie et de son argent dans le projet La Fab’
A.M. Alors, Nils, Natacha, pourquoi Kieślowski, à part la proposition de MK2 ?
N.B. Je pense que ce n’est pas pour rien que Kubrick avait dit que parmi ses œuvres préférées, il y avait Le Décalogue. Cela mélange tout ce qu’on aime dans le cinéma : un travail de mise en scène, sur l’image et le son qui va très loin, avec un rapport sensible au public, sur les effets sensoriels et dramaturgiques, une façon très efficace de développer ses scénarios. Et tout en gardant une exigence artistique.
N.M. Sur les quatre autres films, j’ai été surpris d’à quel point ça brasse un large public, c’est à la fois très accessible et très exigeant, très perfectionniste, très travaillé…
N.B. Et c’est très universel, ça vieillit assez peu.
N.M. Ce n’est pas une histoire avec un vrai suspense : on suit juste comment vont évoluer ses personnages, et on se retrouve dans chaque évolution.
AM. Nous nous sommes vus pour le tournage des bonus fin août, il restait encore plusieurs caps à franchir, des aller-retour avec MK2… Et si l’on revenait sur les bonnes et mauvaises surprises du projet ?
N.B. […] L’édition finale s’est tout de suite mise en place, il y avait une certaine urgence du projet. C’était en flux tendu.
N.M. MK2 menait les restaurations, et ils voulaient les exploiter dès qu’elles étaient terminées : Noël, la Cinémathèque…
« J’ai l’impression que je ne suis pas seule » chuchote Weronika à son père, un soir, dans une petite ville de Pologne. Tout un programme pour La Double vie de Véronique, récits parallèles de la mort d’une jeune musicienne polonaise et de son alter ego française, Véronique. Trois récompenses à Cannes en 1991 (Prix du Jury œcuménique, Prix FIPRESCI et Prix d'interprétation féminine pour Irène Jacob), Prix du public à Varsovie en 1992.
Bleu, comme la liberté. Julie perd son mari et sa fille dans un terrible accident. Veuve, elle doit se reconstruire ? Peut-être aussi achever la partition inachevée d’un Concerto pour l’Europe,accepter de vivre, simplement, et de donner aux autres, aussi… Trois couleurs : Bleu a reçu un Lion d'or en 1993. Juliette Binoche et le chef-opérateur, Sławomir Idziak, ont également été primés. Le film a aussi reçu trois César en 1994… et poursuivi une carrière internationale.
Blanc, comme l’égalité. Mais quelle égalité pour Karol, jeté dehors par son épouse, Dominique, française, qui demande le divorce, le trompe ? De retour en Pologne, Karol traficote, s’improvise nouveau capitaliste, entreprend de se venger. Mais la mécanique s’enraye... Trois couleurs : Blanc a notamment reçu le prix du meilleur réalisateur à Berlin en 1994.
Rouge, comme la Fraternité. Mais quelle fraternité entre tous ces personnages qui s’entrecroisent sans jamais se trouver ? Pourtant, Valentine (Irène Jacob) apprivoise peu à peu Joseph (Jean-Louis Trintignant), vieux juge misanthrope (ou bien est-ce le contraire ?). Trois Couleurs : Rouge était sélectionné à Cannes en 1994, nommé trois fois (réalisateur, photo, scénario) aux Oscars. Un César a récompensé en 1995 la musique de Zbigniew Preisner.