Hommage à Irène Jacob,

une première à Alès


Irène Jacob présentée par Antoine Leclerc, délégué général du Festival Itinérances - © alain martin

Itinérances : la 21e édition du festival de Cinéma d'Alès, du 20 au 22 mars 2003, sous-titrait « le spectacle continue », se consacrant aux liens entre cinéma et spectacle vivant : théâtre, danse, musique ou cirque… Pouvait-on rêver d'un plus beau contexte pour présenter un hommage à Irène Jacob ?
Et en mars 200, Irène revenait à Alès, étant membre jury des courts métrages, tandis que c'est à Jean-Louis Trintignant, comédien et voisin, qu'Itinérances rendait alors hommage.

Les interventions d'Irène Jacob

- la grande Soirée Hommage du 20 mars avec projection et discussion sur L'Affaire Marcorelle et Trois couleurs : Rouge ;
- la présentation le 21 mars de La Double vie de Véronique
et un question-réponse autour de Au-Revoir les Enfants, avec le jeune public ;
- la participation à la présentation du film inédit Nés de la Mère du Monde par Denise Chalem, le 22 mars.

> Elle a dit…

« C'est une question de curiosité et de désir.J'aime le cinéma où le réalisateur s'intéresse aux comédiens et sait les utiliser pour raconter une histoire. C'était la force de Kieslowski, ses films touchaient les gens dans tous les pays. Pour moi l'émotion n'a pas de frontière… »
Midi Libre Cévennes, 21 mars 2003

© alain martin/www.irenejacob.net

A propos de l'Affaire Marcorelle

« Le réalisateur avait beaucoup joué avec les personnalités de cinéma, et pour Jean-Pierre Léaud et pour moi… je joue le rôle d'une Polonaise, un peu comme dans La Double vie de Véronique… donc dans ce film il y a beaucoup de clin d'œil au cinéma, et d'ailleurs Serge Le Péron est quelqu'un qui s'est beaucoup engagé lui aussi auprès des Cahiers du Cinéma, des cinémathèques…
C'est un film très personnel où il a osé des choses avec sa fantaisie… et j'ai eu beaucoup de plaisir à travailler avec Jean-Pierre Léaud, c'est une très belle rencontre, aussi. 
»

A propos de Rouge

« Dans la Trilogie, le travail avec Piesiewicz, le co-scénariste, c'était une manière d'être près des gens et de leurs préoccupations de tous les jours, en même temps que de raconter une belle histoire de cinéma.
Kieslowski aimait toujours partir de quelque chose d'impossible. Là, qu'est-ce que ça peut être la fraternité entre deux êtres qui n'ont évidement rien à voir, qui même vont s'opposer au départ ?… et comment quelqu'un de si loin de vous, a priori même contre, se retrouve dans un destin tout à fait particulier, pour devenir finalement une personne qui va être très proche de votre intimité.
J'ai l'impression qu'à chaque fois… Krzysztof essayait, avec son co-scénariste, de trouver une situation extrême pour arriver à voir le chemin qui fait que : “si !… rien n'est impossible !» Cela représentait assez bien l'esprit de Krzysztof Kieslowski : quelqu'un qui a priori n'était pas un grand optimiste… mais qui cherchait toujours ce chemin : trouver là “où ça existe” même si c'est rare de pouvoir le mettre en valeur.
La façon de travailler dans ce film était très différente de
La Double vie de Véronique puisqu'il essayait plutôt de trouver la balance entre deux personnages : quand l'un gagnait… quand l'autre reprenait la main… presque comme un ping-pong.
Et puis Valentine c'est un personnage qui est presque toujours en révolte, donc l'ambiance de tournage au début était très chargé, avec les scènes du Juge. On avait répété un week-end dans la maison du juge, pour trouver la façon dont il allait organiser nos déplacements. Au cours de ces trois semaines de tournage, j'ai eu vraiment -c'était une sensation personnelle - l'impression d'être un ventre ouvert… alors que les gens me disaient "vous êtes tellement douce dans ce film 
! »
Irène Jacob a souligné aussi la qualité de la lumière de Piotr Sobocinski (mort en 2001) qui proposait beaucoup dans ce film (dont le rappel de l'affiche publicitaire dans la scène finale) et qui avait construit une lumière très compliquée pour les acteurs, toujours en clair-obscur. « Et je peux vous dire que ce n'était vraiment pas facile pour les déplacements [elle mime] : comme ça… comme ça… comme ça… avec un superbe résultat ! »

« En ce qui concerne la catastrophe du ferry à la fin, on a critiqué le fait que, comme par hasard, c'est uniquement les six héros de la trilogie qui s'en sortent… mais mon interprétation personnelle, c'était vraiment de se dire que finalement, qu'est-ce qui reste dans la vie ? Seulement les personnes qu'on a connues… donc, on ne connaît pas les autres personnes du ferry ; il ne reste que ceux qui échappent au chaos de la vie, ceux avec qui on a partagé quelque chose, ne serait-ce qu'un petit moment autour d'un film, aussi !
Je crois que
Rouge a beaucoup compté pour Kieslowski aussi parce que lui qui n'avait franchement pas l'habitude de s'auto-féliciter, quand il l'a vu, a dit qu'il en était très content.
En général, il disait : “si je suis content de 30% du film que j'ai fait, j'en suis content… parce qu'on ne peut pas faire plus…“ Finalement j'ai réalisé que c'est vrai : on ne peut pas être toujours au top ; si déjà un film vous touche pendant par exemple vingt minutes, ça suffit, je peux ainsi être très reconnaissante à une actrice ou un acteur sur scène qui pendant cinq minutes me fait sentir quelque chose, me rappelle une émotion…
 »
Irène Jacob précise encore que s'il n'y avait que « une ou deux voire trois prises si le plan était très compliqué, par contre la scène était tournée de beaucoup d'angles différents. Kieslowski était un réalisateur qui privilégiait des angles afin d'avoir un choix de focales et d'angles : il avait déjà un montage très présent en tête au moment de réaliser ce film.
La direction d'acteurs visait souvent à rendre les personnages dans une tension extrême : on ne pouvait pas mettre un petit enjeu, i l y avait toujours un grand enjeu à placer dans ces personnages. … je sentais qu'il avait besoin qu'on soit comme un ressort hyper-tendu et qu'on soit toujours dans un moment de grande suspension, qu'on a de temps en temps dans la vie mais pas toujours ! Les moments d'un grand événement dans la vie où on a l'impression de marcher comme un funambule, d'être hyper-réceptif à tout ce qui va nous arriver : c'était cet état là qu'il attendait de nous ! Pour moi, le personnage de Valentine, en tout cas, c'était ça… »

A propos de La Double Vie de Véronique

« Ce film, je l'aime beaucoup : c'est mon premier amour avec le cinéma. J'avais vu le Décalogue mais je n'avais jamais imaginé qu'une telle rencontre serait possible ! Comme ce film repose beaucoup sur les deux Véronique, l'actrice est tellement présente à l'écran que Kieslowski m'avait demandé beaucoup d'improvisations, de réfléchir à ce que c'était que la solitude, ce que je faisais quand je me sentais seule…
Comme il pensait que c'était un film qui aurait pu facilement devenir poétique, il me demandait des choses concrètes : “des choses réelles bien ancrées dans ta vie et ta personnalité, car, à ce moment-là, si c'est bien personnel, ça va pouvoir toucher un maximum de personnes, qui vont pouvoir s'identifier.
Cela peut paraître paradoxal mais c'est ainsi.
 »
Irène Jacob s'est senti ensuite « la responsabilité d'expliquer le début du film », puisque le Festival a projeté la version américaine de La Double vie…, c'est-à-dire bande son de la première partie en polonais, la suite en français, le tout sous-titré en anglais. (Rappelons qu'il était alors toujours impossible d'obtenir légalement les copies françaises, le règlement judiciaire de l'exploitation de ces copies n'étant pas encore réglé).
« Weronika a un souffle au coeur, elle devrait arrêter, mais c'est une fille passionnée qui dévore la vie… » Irène Jacob a insisté sur la scène où Weronika vient vers son père, la nuit, là où elle dit « j'ai l'impression de ne pas être seule ». Pour elle, « c'est le thême du film car c'est une idée de Krzysztof Kieslowski que quand nous sommes vraiment seuls il y a des moments où l'on se sent complètement accompagné par quelque chose et des moments où l'on ressent un grand vide, un grand manque. Pour essayer de raconter cette histoire, il a imaginé deux filles quelquepart qui pourraient vivre un destin similaire.
L'important pour moi c'est cela c'est que Weronika va aller jusqu'au bout de sa vie dans un don total, qui va dans lequel elle comblera quelque chose d'assez fort… alors que Véronique est quelqu'un qui est beaucoup plus dans la réception que dans le don mais qui nous ressemble finalement pas mal par ce que nous sommes là avec nos hésitations, parfois à côté de nos destins, quand on se dit : “je suis là mais est-ce que je ne devrais pas être autre part ?… je suis avec cette personne mais ne est-ce que je ne devrais pas être à côté d'une autre ?…“ 
»
A la sortie de la salle, un Polonais n'a pu s'empêcher de poser la question à Irène : « Mais est-ce que vous parlez polonais ? » Et bien non, lâcha t-elle tout en pronoçant quelques mots… en polonais : elle prononçait son texte, était "bien entourée" et un excellent doublage complètait l'illusion. Les Polonais, c'est sûr maintenant, s'y laissent prendre !

A propos de Au Revoir les Enfants

« Je n'ai pas fait option cinéma à l'école… mais j'aurais beaucoup aimé ! Et je faisais beaucoup de théâtre à côté de mes études. Et c'est lors d'un spectacle à la Rue Blanche [ENSATT, maintenant à Lyon, NDLR] qu'on m'a proposé de faire des essais pour ce film. L'accent suisse devait plaire à Louis Malle, et puis il fallait savoir jouer du piano… et finalement j'ai été prise ! Et quand ce sont des petits rôles on n'est pas très au courant et personne n'a le temps de s'occuper bien de vous… pourtant avec très peu de mots, Louis Malle m'avait finalement bien dirigée : en deux trois gestes il avait eu ce talent de bien cibler le personnage avec quelques éléments pour le raconter… »

A propos de Nés de la Mère du Monde

Dans le film de Denise Chalem, une Marseillaise, Odette (Marthe Villalonga), confond Clara (jouée par Irène Jacob) avec la fille qu'elle n'a pas eu, et pense qu'elle n'est pas au courant de ses origines. Elle lui envoye, sur une cassette, l'histoire du Caire des années 50, où elle conte son histoire (avec force détails ). Clara, romancière, vient de publier un premier roman et va avoir un enfant. Elle ne s'est jamais posé la question de ses origines… et elle accepte donc de rencontrer Odette, qui va lui donner des précisions mais peut-être aussi bouleverser sa vie en y faisant irruption !
Le film devait être diffusé sur Arte en mai 2003.
Irène Jacob a salué le travail de la réalisatrice, qui trouvait le bon mot et le bon geste pour chacun des acteurs, dans un tournage de seulement 21 jours a-t-elle précisé, où « on n'a pas droit à l'erreur ! »

En coulisses, avant de retourner sur scène pour les questions-réponses après Au Revoir les Enfants, Irène nous glissait :
« Un hommage ? Peut-être que j'aurais accepté avant mais… personne ne me l'a proposé. J'ai hésité, mais finalement ça m'a fait plaisir. Il faut savoir que quand je participe à un festival… je donne de ma personne ! … et puis, après tout, tout le monde pourrait parler de son parcours, il n'y a pas besoin d'avoir fait beaucoup de choses… »
Par contre, elle regrettait qu'il manque au moins « un des films anglais, Othello, par exemple ! ». Puis elle se remémorait encore pour nous ses participations à des festivals, comme celui avec Jean-Pierre Léaud par exemple,une semaine à New-York où l'acteur était éreinté par les innombrables questions qu'on lui posait sur François Truffaut : « Tout cela ça n'est pas innocent, ça réveille des choses fortes, et positives, mais ça bouleverse, aussi ! », concluait Irène.
Cette impression, elle l'a ressentie en Pologne, fin 2012, durant trois jours à Lodz de discussions, des heures entières avec les étudiants [où il lui a été remis un Prix Kieslowski] , et elle s'est fait « un devoir de transmettre ce qu'elle pouvait penser de tout cela », et ce sont des moments qu'elle juge intenses, mais très fatigants.

A propos du site www.irenejacob.net :
« Je n'aurais jamais pris l'initiative d'un site sur moi et je ne vais jamais le consulter personnellement… mais quand les gens m'en parlent, ça me fait plaisir ! »

Merci à l'ensemble des équipes du Festival pour leur accueil cordial et efficace! Merci à Irène Jacob pour ses interventions et les commentaires exclusifs…

Fond de page :
Irène Jacob face au public,
tout au long du Festival,
le soleil était au rendez-vous…
© a.martin

Hommage à Irène Jacob
(Festival Itinérances, mars 2003)

L'Affaire Marcorelle
20 mars
Au-Revoir les Enfants*
21 mars
Au-Revoir les Enfants
25 mars
La Double Vie de Véronique (version US)
21 mars
Fugueuses
23 mars
Nés de la Mère du Monde*
22 mars
Par-Delà les Nuages
22 mars
Trois Couleurs : Rouge*
20 mars
* En présence d'Irène Jacob.

 

Surprise : John Malcovich nous rend visite ! - © Alain Martin

Visite surprise de John Malcovich dimanche, qui lui aussi nous a confirmé avoir gardé un très bon souvenir de son travail avec Irène Jacob sur Par Delà les Nuages

 

Irène Jacob sur France Inter, le 12 mars 2003 à 22:10 (José Arthur)

Irène Jacob (comédienne) :
« En tout cas, il y a vraiment un programme formidable : je salue ce festival… enfin je ne parle pas de moi évidemment… [rire] »
José Arthur (animateur) :
« C'est un programme bien établi parce qu'un fou furieux pourrait presque tout voir ! »
Antoine Leclerc (délégué général du Festival Itinérances) :
« Oui il faudrait qu'il soit plutôt fou furieux et… qu'il dorme quatre heures par nuit : ce serait un petit peu difficile… certains journalistes suggèrent de prendre des congés ! »

L'hommage de José Arthur
à Irène Jacob… et à "Itinérances"

En première partie du Pop-Club, Antoine Leclerc, délégué général d'Itinérances a présenté le festival de cette année. Puis Irène Jacob est revenue ses débuts avec Louis Malle : « Il cherchait une actrice qui jouait du piano. Il se trouve que pouvais assez bien jouer le Rondo Capricioso de Saint-Saens qui n'était quand même pas une mince affaire. Margot Capelier m'a vu et m'a convoquée après cela, et elle en a parlé à Krzystzof Kieslowski qui avait vu le film… »). Il y a eu ces deux après-midi d'essai avec Kieslowski : « Je sortais d'un film que j'avais adoré faire, un premier film américain… et je suis arrivée là-bas inspiré, portée… je comptais passer des vacances aux Etas-Unis et j'ai du revenir, traverser l'Atlantique. Je me suis dit : si ça marche c'est super, sinon d'autres choses m'attendent… »
Après un extrait sonore de… Rouge, Irène Jacob parle musique : « C'est vrai que la musique m'a toujours suivie et je continue des spectacles musicaux. La Double Vie de Véronique, une violoncelliste… je vois des rendez vous musicaux à travers mon parcours… assez fréquents… »
Elle précisait aussi : « je peux jouer en français et je maîtrise l'anglais mais avec un accent français certain »
Vint cette proposition en 2000 d'Irina Brook, pour jouer dans Résonances, dont Irène était si heureuse : « Je retrouve le théâtre avec grand plaisir ! »
La comédienne a rappelé qu'elle a accepté cet hommage, à propos duquel Antoine Leclerc rappelait que ce n'est pas un hommage avec « du strass, des paillettes… mais une rencontre avec elle sur un parcours, des cinéastes et des œuvres. Ce sera très simple ! »
A José Arthur qui lui demandait si elle avait eu des professeurs, elle qui joue si naturellement…elle parla de la rue Blanche, du studio Garfein…, mais surtout… « on a l'impression de jouer un rôle mais en même temps il y a tout ce qu'on est qui vous rattrape, qu'on n'a pas planifié de rendre à l'image mais qui vient. Grâce à cela on change, cela peut évoluer… » Elle constatait pourtant : « je suis une piètre actrice dans la vie ! Quand on enlève le micro… il n'y a plus rien ! » Vraiment ?
Questionnée sur ses projets futurs, Irène a avoué travailler sur un film sur Anna Karina [dont on a perdu la trace plusieurs années après, NDLR].
José Arthur était ravi de recevoir celle qu'il a présentée comme « une des plus belles femmes du monde [sic!], une des meilleurs comédiennes du monde… » précisant qu'elle « prend admirablement la lumière ! »
L'histoire ne dit pas si Irène a encore rougi sous le lustre et les abats-jours du Fouquet's
[am, 2003]

 

> Ils ont dit… `

« …Irène ? Elle a cette liberté-là : elle n'est pas emprisonnée dans l'économie du cinéma, elle n'est pas là pour ça. Elle est là pour faire des rencontres, de beaux films… »
[Jean-François Gabard, agent d'Irène Jacob, janvier 2002]


« …D'un film à l'autre, Irène affirme son talent, sans bruit, et impose son éclatante beauté, ses beaux yeux mélancoliques, sa douce joie de vivre, sa voix inoubliable, son extraordinaire présence dans l'intimité d'une recherche incessante qui passe aussi, bien sûr par le théâtre qu'elle n'a jamais abandonné, mais aussi par la musique et par le chant… »
[Les petites partitions d'Irène Jacob, extrait du texte de Gérard Camy… pour l'hommage à Irène Jacob]

« Les choix de l'actrice l'ont naturellement conduite vers un cinéma d'auteur et, si cette exigence lui permet un parcours sans faute, il serait dommage que sa beauté et cette espèce de pureté dans son jeu lui coupe l'entrée vers un cinéma plus léger qu'elle semble aussi capable d'aborder. Elle joue d'ailleurs dans un film remarquable et inclassable de Serge Le Péron… »
[La Marseillaise du Gard, 20 mars 2003]